Nous sommes le 20 mars, plus qu’une fois dormir et nous passerons les célèbres écluses du canal Panama. Dernière discussion avec Nicolas de Phileas qui nous met un peu la pression : « Quoi, vous n’avez pas fait un premier passage avec un autre bateau ? Vous êtes certains que vos enfants seront acceptés comme hand-liners ? ». Hé oui, en général, les bateaux embarquent des personnes supplémentaires pour tenir les 4 lignes d’amarrage qui doivent nous maintenir à distance respectable des murs des écluses quand on la remplit ou la vide. Nous choisissons de rester en famille. Ben oui, nous avons déjà tous des mois d’expérience sur notre bateau ! Ce sera Guilhem, Augustin, Hubert et Béné qui auront la lourde responsabilité de jouer aux hand-liners. On espère qu’ils auront la force, l’attention et les bons réflexes si besoin. Nous installons les pneus (en guise de pare battage) et préparons les haussières de diamètres et longueurs règlementaires. Rendez-vous à 15H00 dans le flat (parking pour les bateaux passant le canal délimité par des bouées) pour accueillir notre pilote, un expert du canal qui donne ses instructions de manoeuvre au capitaine sans que sa responsabilité puisse être engagée (le capitaine restant bien entendu seul maitre à bord tant que le bateau navigue … ). Nous serons finalement trois bateaux accouplés pour le passage. Un autre catamaran bien plus grand que le notre et un monocoque. Mauvaise configuration car à trois, nous sommes très larges pour passer les écluses, ce qui ne laisse pas beaucoup de marge de manœuvre pour éviter de toucher les murs des écluses qui ont la réputation d’endommager les bateaux. Nous attachons les trois bateaux et entrons déjà dans la première écluse. Très vite les portes se referment et avec elles, la mer des caraïbes et l’Atlantique, soit la première moitié de notre périple. C’est la tombée de la nuit, mais l’agitation est toujours présente au dessus des écluses, de nombreux hommes se promènent tenant les lignes et suivant les bateaux, les locomotives s’activent elles pour tirer les grands portes containers. Les gros spots remplacent bientôt le soleil. L’eau monte formant de terribles remous dans le bassin. Les trois capitaines restent concentrés (surtout Laurent). Il ne faut pas que les bateaux pivotent à cause des courants et ne viennent heurter les murs de l’écluse. Tout s’enchaine, on entre déjà dans la seconde écluse et puis dans la troisième. Toujours cette même attention des capitaines et des hand-liners pour rester bien au centre de l’écluse. La dernière porte s’ouvre sur le lac de Gatun. Les trois bateaux se séparent. Nous sommes cette fois juste au-dessus du grand barrage (où nous avons perdu notre annexe quelques semaines plus tôt ). Il fait tout noir. Le pilote nous guide jusqu’à une énorme bouée sur laquelle sont déjà amarrés quelques bateaux. Nous sommes maintenant 6 ou 7 bateaux attachés les uns au autres pour passer la nuit. Les pilotes repartent aussi vite qu’ils ne sont montés à bord. Tout le monde s’endort assommé par la tension, le stress et surtout le réveil prévu très tôt le lendemain pour l’arrivée du nouveau pilote. C’est avec le soleil que chaque bateau se réveille et lâche les autres pour avancer lentement vers le Pacifique. Nous naviguons toute la matinée à travers cette immense étendue d’eau calme sous un soleil de plomb et sans aucun vent pour nous rafraichir. Nous croisons les cargos, les roros, les Panamax, … et des barges avec grue qui transportent du sable pour améliorer ou aménager le canal. C’est juste après le pont du Centenaire que nous reformons notre groupe de 3 bateaux pour rentrer dans la première écluse côté Pacifique, l’écluse de Pedro Miguel. Cette fois-ci, l’eau en descendant entre les portes fait descendre les bateaux afin de rejoindre le niveau du Pacifique. Déjà l’énorme porte des écluses de Mira Flores s’ouvre devant nous et nous pousse vers le Pacifique. Nous reprenons notre indépendance et passons sous le Pont des Amériques. Nous venons de perdre quelques degrés mais avons gagné des dizaines d’oiseaux volant devant les hautes tours de Panama City. La nuit venue, nous sommes comme entouré par des guirlandes de lumière s’élevant dans les hautes tours ou dans les cargos apparaissant comme une ville entière sur l’eau. Pour profiter une seconde fois (sans stress pour Laurent) de cette merveilleuse traversée, les Talitha Koum nous accueillent tous les 7 sur leur cata. Quelle joie de revivre ces grands moments entre l’Atlantique et le Pacifique en leur compagnie. Après un bon ravitaillement dans les marchés aux fruits et aux légumes, deux bonnes journées dans le plus grand Mall d’Amérique du sud, la visite de la vieille ville de Panama et la petite grimpette sur le colline au drapeau, nous larguons les amarres en direction des Iles de Las Perlas. C’est là que nous signerons notre poisson du premier avril, que Laurent fera ses dernières plongées avec Pierre, que nous plongerons avec tous les enfants sur un ancien sous marin échoué à quelques mètres de la plage et surtout que nous « beacherons » le bateau.
Cette opération consiste à échouer notre catamaran sur une plage entre deux marées hautes (près de 4 mètres de marée sur une période d’environ 6 heures) afin de nettoyer la coque pour gagner au moins 2 noeuds durant notre traversée. Vers 15 heures, la marée commence à descendre et nous nous précipitons pour profiter de cet instant pour aller échouer le catamaran. Nous avons moins de 6 heures pour gratter, nettoyer, remettre de l’anti-fooling. Vers deux heures du matin, le bateau recommence à vivre, il bouge de nouveau, l’eau le soulève et finit par le libérer du sable. Ouf ! L’opération est réussie ! Cette aventure unique pour nous fut très stressante et bien sympa. Elle ne sera très probablement réalisable que là bas. Les Caraïbes n’offrant pratiquement pas de marées, tout comme la Polynésie. Et aux Galápagos, pas question de tenter une telle aventure ! En tout cas, notre cata est prêt pour la grande traversée !
Aux Perlas, nous dirons au revoir aux Talitha Koum avec lesquels nous aurons passé un bon mois de navigation depuis les San Blas. Ils seront les dernières personnes à nous saluer avant le grand départ. Merci Nathalie, Pierre, Yann, Zoé et Julien, on a vraiment apprécié votre amitié. Rendez vous fin juin !
Comme le dit si bien Jean-Sébastien, heureusement que vous ne racontez vos aventures » bien stressantes mais sympathiques » qu’une fois qu’elles se sont bien terminées, parce que leur narration est tellement vivante, que vous arrivez à nous transmettre un chico-poil de ce que vous avez dû vivre. (ndlr: un chico-poil est une notion de grandeur de stress qui se définit comme étant « une infime partie de la tension vécue en réalité », utilisé lorsque l’on narre une expérience sans vouloir inquiéter les lecteurs ou auditeurs; autrement dit, le contraire d’une tendance à vouloir exagérer).
Et je vous promets que ce chico-poil est déjà d’une bonne taille 😉
J’ai malheureusement perdu ma plume ces derniers mois ce qui fait que mes interventions se font rares. Mais cela ne m’empêche pas de vous suivre. Je n’en perds pas une miette; que dis-je, je n’en perds pas une éclaboussure…
Merci encore de nous accepter comme témoins bien planqués de cette superbe parenthèse marine dans votre vie de terriens.
Que les vents vous soient favorables,
OCT’OPUS
Jean-Seb, à mon avis ils se reposent du voyage.
« et par manque de brise,
le temps s’immobilise
aux Marquises »
Nous on a compté 21 jours au calendrier, mais eux?
Dimitri
C’est amusant ce site: quand les « Sept à vivre » sont au milieu de nulle part, on a des news tous les deux jours. Et quand ils sont à terre, plus rien… ;-). Bon, il reste l’AIS qui nous apprend que, après un petit pique-nique à Fatu Hiva, le cata est à nouveau à Atuona. On espère que tout se passe bien.
On vous embrasse.
Les « Quatre à terre »
Dieu me pardonne, j’ai douté… C’est stupide, je n’aurais pas dû… Un moment d’inattention, sûrement! Je ne sais pas pourquoi, j’ai pensé que vous aviez peut-être changé, que cette aventure en bateau avait eu raison de vous d’une façon ou d’une autre.
Mais une phrase dans cet article, une seule, a suffit à me convaincre que j’avais tout faux. Après le récit de votre échouage volontaire, vous résumez l’opération par une magnifique: « Cette aventure unique pour nous fut très stressante et bien sympa ». Et voilà! Je suis pleinement rassuré: « très stressante et bien sympa ». Il n’en fallait pas plus. Non, non, rien n’a changé, tout tout a continué.
Du coup, je ne sais pas où vous allez vous arrêter: « Suite à une surchauffe, les moteurs ont crâmé, ont foutu le feu au bateau qui s’est retourné. Nous avons échappé de peu à une mort atroce et on a mis trois semaines à tout remettre en état avec l’aide de volontaires polynésiens. Une petite péripétie très stressante et bien sympa ».
Ou alors: « Après avoir mangé un poisson que nous n’avons jamais trouvé dans notre bouquin pourtant très complet, nous avons tous attrapé une fièvre de cheval et vomi nos tripes avant de présenter des pustules sur l’ensemble du corps. Nous avons fini à l’hôpital des Marquises qui ne compte que cinq lits de sorte qu’il a fallu l’agrandir en catastrophe pour nous accueillir tous les sept. Après un séjour d’une semaine dont nous ne gardons aucun souvenir (puisque nous nous étions dans le coma), nous avons pu regagner notre cata pillé entretemps par des locaux peu scrupuleux. Depuis, ça va mieux et nous sommes à nouveau d’attaque. Un épisode très stressant et bien sympa ».
Allez, continuez à bien vous (et nous) amuser avec vos aventures « très stressantes et bien sympas ». Mais de grâce, veillez à ne les raconter que quand elle se sont (bien) terminées. Parce que s’il devait y avoir des live cams sur votre rafiot, je crois qu’on serait déjà tous morts, ici 😉